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La disparition des insectes, un phénomène dévastateur pour les écosystèmes

 

La disparition des insectes, un phénomène dévastateur pour les écosystèmes (Source Le Monde 12 février 2019)

Leur taux d’extinction est huit fois supérieur à celui des autres espèces animales, selon une étude australienne. Un déclin qui pèse sur la biodiversité et notre alimentation.

 

Selon l’étude de la revue « Biological Conservation », les libellules pourraient bien avoir disparu d’ici un siècle.Selon l’étude de la revue « Biological Conservation », les libellules pourraient bien avoir disparu d’ici un siècle. JACK GUEZ / AFP
Papillons, scarabées, libellules… Tous ces insectes pourraient bien avoir disparu d’ici un siècle, entraînant un « effondrement catastrophique de tous les écosystèmes naturels », selon une étude publiée dimanche 10 février dans la revue Biological Conservation. Cette publication, menée par des chercheurs des universités de Sydney et du Queensland, constitue le premier rapport mondial sur l’évolution des populations d’insectes.

Et les résultats de l’étude sont alarmants : au total 40 % des espèces d’insectes sont en déclin, parmi lesquelles les fourmis, les abeilles, les éphémères, etc. Depuis trente ans, la biomasse totale des insectes diminue de 2,5 % par an. Leur taux d’extinction est huit fois plus rapide que celui des mammifères, des oiseaux et des reptiles.

« A ce rythme-là, d’ici un siècle il ne restera plus d’insectes sur la planète, alerte Francisco Sanchez-Bayo, auteur principal de l’étude. Ou alors à peine quelques espèces nuisibles qui se seront développées au détriment des autres. »

Et la crise est mondiale. Des effondrements de populations d’insectes ont été observés de l’Australie à Porto Rico, où une récente étude a révélé une chute de 98 % des espèces terrestres depuis trente-cinq ans, en passant par l’Allemagne, où même de 75 % dans les réserves où elles sont protégées.

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« Syndrome du pare-brise »

Pour en arriver à ces résultats, les chercheurs australiens ont compilé 73 études à long terme publiées au cours des quarante dernières années. Elles ont chacune été menées pendant une période d’au moins dix ans, allant jusqu’à 150 ans pour certaines d’entre elles.

« Les méthodes de comptage d’insectes varient d’une étude à l’autre, explique Francisco Sanchez-Bayo. Il est beaucoup plus difficile d’estimer l’augmentation ou la diminution des populations de scarabées par exemple que celles de gros animaux, il faut donc s’adapter au milieu et à l’animal que l’on veut étudier. »

Pour le cas d’une des études menées en Nouvelle-Zélande, par exemple, les chercheurs ont recueilli des échantillons d’insectes dans vingt forêts différentes pendant trois ans, à raison d’un par mois. Ils ont ensuite comparé les résultats aux mêmes échantillons récoltés quinze ans plus tôt.

« Cette étude permet de quantifier ce phénomène, explique Henri-Pierre Aberlenc, entomologiste et ingénieur de recherche au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Mais il est facile pour n’importe qui de l’observer grâce à ce qu’on appelle le “syndrome du pare-brise”. La plupart des conducteurs de plus de 40 ans peuvent comparer l’état de leur pare-brise aujourd’hui à celui d’il y a quelques dizaines d’années : le nombre d’insectes écrasés a considérablement diminué. »

A contrario, certaines espèces d’insectes, environ 5 %, ont vu leur population augmenter. C’est le cas de celles qui s’adaptent à la température ou au changement climatique, aux espèces généralistes ou encore à celles dont les ressources alimentaires sont variées.

« La nature a horreur du vide »

La population du bourdon fébrile, présent en Amérique du Nord, a par exemple été multipliée par trois en trente ans. Résistant aux pesticides, il s’est développé aux dépens des espèces moins résistantes.

« La nature a horreur du vide, explique Jean-Claude Streito, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Lorsqu’une niche écologique est libre, elle est vite occupée par une nouvelle espèce. Il ne faut pas compter sur la disparition généralisée des insectes pour nous débarrasser des espèces qui nous posent problème. »

Bien au contraire, selon le chercheur, avec la disparition d’une bonne partie des insectes, la place est libre pour quelques espèces qui risquent de proliférer et de causer davantage de problèmes. « Plus la diversité biologique d’un milieu est faible, moins ce milieu est stable. »

Les répercussions du déclin des insectes sont donc pour le moins catastrophiques, car ces animaux sont à la base de nombreux écosystèmes de la planète. « Avec la diminution des insectes on observe un effet boule de neige, souligne Francisco Sanchez-Bayo. Leurs prédateurs meurent petit à petit de faim. On voit déjà certaines espèces de grenouilles et d’oiseaux disparaître. Ensuite viendra le tour des prédateurs des oiseaux et ainsi de suite jusqu’à bouleverser la totalité de la biodiversité. C’est pour cela que l’on parle aujourd’hui de la sixième extinction de masse. »

Et les animaux ne sont pas les seuls menacés. Nos régimes alimentaires pourraient aussi souffrir de la disparition des insectes. En effet, les cultures pollinisées assurent plus du tiers de l’alimentation à l’échelle mondiale. « La disparition des insectes va avoir un impact énorme sur la production des fruits et légumes que nous consommons, alerte Francisco Sanchez-Bayo. Nous trouverons toujours des moyens de nous nourrir mais la diversité de notre alimentation va considérablement diminuer. »

« Cercle vicieux »

A l’origine du déclin majeur des insectes, les chercheurs pointent du doigt l’urbanisation, la déforestation et la pollution, mais surtout l’agriculture moderne. Son intensification au cours des six dernières décennies a entraîné l’utilisation généralisée de pesticides de synthèse, facteur majeur de la perte d’insectes.

« Les données disponibles remontent à plusieurs siècles en arrière. On sait donc que le déclin des insectes commence au moment de l’industrialisation, souligne l’auteur de l’étude. Cependant certaines accélérations peuvent être observées, c’est le cas dans les années 1920 lors de l’apparition des premiers fertilisants synthétiques, puis des années 1950 avec les pesticides organiques. Enfin la dernière, et la plus importante, est celle des années 1990 avec la mise en circulation des nouveaux groupes d’insecticides. »

Pour les chercheurs australiens, ces pesticides tels que les néonicotinoïdes et le fipronil, introduits il y a vingt ans, sont dévastateurs. « Au total, près de la moitié des pertes de populations d’insectes sont dues à l’utilisation de ces produits, précise Francisco Sanchez-Bayo. C’est un cercle vicieux : plus nous utiliserons des pesticides pour améliorer les rendements plus, au final, nous allons perdre en rendement par la disparition des insectes. »

Pour l’équipe de scientifiques une seule solution : repenser l’agriculture. « A moins que nous ne changions nos façons de produire nos aliments, les insectes auront pris le chemin de l’extinction en quelques décennies », alertent-ils. La restauration des habitats, associée à une réduction drastique des pesticides, serait probablement le moyen le plus efficace de restaurer les populations, en particulier dans les zones d’agriculture intensive, selon le rapport.

Double défi pour le milieu agricole

Pour Jean-Claude Streito, il est aussi indispensable d’augmenter la diversité biologique des milieux cultivés. « La replantation de haies, la mise en place de bandes enherbées, la plantation de zones fleuries et tout ce qui diversifie les espèces végétales dans le temps et dans l’espace sera favorable au retour de la diversité des insectes », explique le chercheur.

Le milieu agricole doit relever un double défi : produire des denrées alimentaires pour satisfaire la demande croissante d’une population qui augmente, mais aussi produire cette nourriture de façon acceptable sur le plan environnemental.

Clémentine Thiberge

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